Validité du forfait-jours : nouvelle condamnation du CEDS

La validité du forfait-jours a de nouveau été remise en cause par le Comité européen des droits sociaux dans une décision publiée le 10 novembre 2021.

Le décryptage de VOXIUS AVOCATS


Présentation du CEDS

Le Comité européen des droits sociaux (CEDS) est une instance de contrôle du Conseil de l’Europe en charge d’examiner le respect de la Charte sociale européenne par ses signataires. Le CEDS est composé de 15 membres élus par le Conseil du Comité des Ministres de l’Europe pour une période de 6 ans, renouvelable une fois.

Le CEDS est saisi par des réclamations collectives introduites par les partenaires sociaux et des organisations non gouvernementales et par des rapports nationaux rédigés par les Etats Parties.

Le CEDS n’est pas un organe juridictionnel, ses décisions ne sont donc pas exécutoires dans les ordres juridiques nationaux. Elles peuvent néanmoins servir de base de réflexion aux juges nationaux pour assurer le respect des engagements contraignants pris par les Etats. 

La nouvelle saisine du CEDS sur la validité du forfait-jours

En 2017, la CGT et la CFE-CGC ont déposé une nouvelle réclamation devant le Comité européens des droits sociaux (CEDS) portant sur la validité du forfait-jours au regard des dispositions de la Charte sociale européenne.

La CGT et la CFE-CGC considèrent que la législation française sur le forfait-jours ne permet toujours pas d’assurer le respect des articles 2§1 et 4§2 de la Charte et que les nouvelles règles issues de la Loi du 8 août 2016 ont rendu « encore plus aléatoire la gestion de ce système et ont amoindri la protection des salariés concernés. »

Par le passé, le CEDS a déjà conclu à plusieurs reprises à la non-conformité du dispositif du forfait-jours au motif qu’il ne garantirait pas une durée hebdomadaire de travail raisonnable et que son cadre juridique n’offrirait pas de garanties suffisantes à cette fin.

La particularité ici est que depuis la dernière décision du CEDS, la Loi du 8 août 2016 a modifié le dispositif du forfait-jours, précisément pour le sécuriser.

Par une décision publiée le 10 novembre 2021, le CEDS a néanmoins conclu de nouveau et à l’unanimité à la violation de la Charte. 

Une nouvelle décision défavorable du CEDS sur la validité du forfait-jours

Le CEDS constate que les limites maximales du temps de travail journalier et hebdomadaire peuvent toujours être dépassées par les salariés au forfait-jours et que « le seuil théorique de 78 heures de travail hebdomadaire reste d’application même si le Gouvernement précise que ce seuil est très supérieur à la moyenne de la durée effective de travail. »

Selon le CEDS, le seul contrôle a posteriori du juge sur la validité du forfait-jours au regard de la durée raisonnable de travail est insuffisant à garantir le respect de l’article 2§1 de la Charte.

Le CEDS considère également que « le nouveau cadre juridique introduit par la Loi n°2016-1088 n’a pas renforcé les garanties offertes aux salariés soumis à un régime de forfait-jours. Ce cadre juridique n’est pas suffisamment précis pour circonscrire le pouvoir discrétionnaire laissé à l’employeur de faire varier la durée de travail et, par conséquent, ne peut être jugé respectueux de l’obligation de garantir des conditions de travail équitables et notamment d’assurer une durée journalière et hebdomadaire raisonnables de travail en vue de réduire progressivement la durée hebdomadaire de travail. »

Par ailleurs, le Comité considère qu’une période de référence d’un an permet trop d’exceptions à une durée normale de travail et peut conduire à une forte variabilité des horaires de travail sur de longues périodes. Il en déduit qu’une telle période de référence ne peut être retenue que s’il est démontré que le salarié concerné ne travaille pas selon une durée déraisonnable ou un nombre excessif de longues semaines de travail.

En l’espèce, si le CEDS admet qu’une période de référence de 1 an pourrait être justifiée pour les salariés en forfait-jours, il n’est pas démontré par la France que la durée hebdomadaire de travail des salariés au forfait-jours ne serait pas excessive.

Enfin, le CEDS considère que l’article 4§2 de la Charte qui reconnait au travailleur « le droit à un taux de rémunération majoré pour les heures supplémentaires » n’est pas respecté par le dispositif du forfait-jours.

Et après ?

Les décisions du CEDS n’ayant pas de force exécutoire, cette nouvelle condamnation ne devrait pas avoir d’effet immédiat en droit interne.

Néanmoins, cette décision du CEDS sur la validité du forfait-jours doit être prise en compte par les entreprises en ce qu’elle sera de toute évidence invoquée devant les Tribunaux. Elle est d’ailleurs à rapprocher d’un arrêt rendu le 13 octobre 2021 (n°19-20.561) par la Cour de cassation. Dans cette décision, la Cour de cassation a rappelé qu’une convention de forfait-jours doit assurer le respect de durées raisonnables de travail, ainsi que des repos journaliers et hebdomadaires. A défaut, la convention de forfait-jours est nulle.

Il est donc impératif de s’assurer que l’accord instituant le forfait-jours prévoit un dispositif permettant de contrôler efficacement  la charge de travail des salariés et garantir une durée raisonnable de travail. 

Les membres de VOXIUS AVOCATS sont à votre disposition pour procéder à un audit de vos conventions de forfait-jours et vous proposer des solutions pour les sécuriser.